La traversée du Pacifique, Avril-Mai 2010 :

 
Et voilà, c’est fait, la plus longue traversée d’un tour du monde par les alizés est derrière nous…Que de préparatifs, de questions, de doutes parfois, pour finalement se lancer, malgré les appréhensions.
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Chaque marin, comme chaque homme sur cette terre, est différent, et du coup, impossible de savoir si notre ressenti est le même chez les autres. En plus, ils sont peu nombreux à admettre avoir eu peur, ou avoir hésité à se lancer au dernier moment, chacun perçoit différemment la prise de risque, certains naviguent en groupe super équipés en communication permanente avec la terre, d’autres traversent dans des cageots en bois avec une boussole et 20 litres d’eau  pour tout équipement.

A vous chers lecteurs nous pouvons vous l’avouer, nous avons hésité à faire demi-tour, rentrer sur le continent, par exemple au mouillage de Golfito, si calme et abrité… Ou dans les baies profondes de la côte Ouest de Panama, comme la Bahia Honda si belle et déserte… Nous avons parlé de croiser le long des côtes américaines, ou même de repasser le canal de Panama dans l’autre sens pour retourner dans les Caraïbes!
Tout ça à cause d’un départ pourri! Incroyable comme le gros temps peut déstabiliser! A l’île Coco, Pat avait bien vu que le temps allait se gâter, par le Sud Ouest, notre route, les nuages s’amoncelaient, et allaient toucher l’île Coco, où nous n’aurions pas pu rester de toute façon (d’abord, c’est trop cher, et ensuite le mouillage allait devenir inconfortable avec cette météo). DSCF1684
Nous sommes donc partis, direction Sud Sud ouest et les nuages, pas le choix, il va falloir traverser la ZCIT (Zone de Convergence Inter Tropicale, (ITCZ en Anglais), c’est une zone, toujours plus ou moins proche de l’Equateur, où le vent ne peut s’établir, car c’est ici que la force de Coriolis s’inverse (liée à la rotation de la planète, cette force fait tourner les grosses masses d’air (dépressions et anticyclones) et génère le vent synoptique, c'est-à-dire le vent « principal » comme les alizés). Sans cette force, la météo est livrée à l’instabilité des gros nuages types cumulo-nimbus, le vent local pouvant alors venir de toutes les directions, la mer devenant chaotique, les orages fréquents… Un temps de brun quoi.
Peu de temps après notre départ (magnifique d’ailleurs de longer l’île Coco), pendant la première nuit, la mer devient hyper courte et croisée, des pics apparaissent partout et nous nous retrouvons comme un grain de riz dans une casserole remplie d’eau en ébullition, secoués dans tous les sens, puis le vent forcit jusqu’à force 7 à 8, avec des violentes rafales, et par-dessus le marché s’établit au Sud Ouest, par là où nous voulions aller. Obligé de faire route vers le Sud Est, direction Panama, alors que nous voulions aller aux Marquises! C’est là qu’on se pose des questions! Colères!  (voir la tête que nous faisons sur les 2 seules photos que nous avons eu le cœur de prendre à ce moment là, et encore c’était pendant une accalmie).
Mais nous finissons par la traverser, cette foutu ZCIT, et 2 jours (et 2 nuits) plus tard le vent retourne au Sud, puis finalement enfin au Sud Est, ce qui nous permet de faire route vent de travers bâbord amure dans la direction des Marquises. La mer retrouve un mouvement à peu près normal, mais elle sera bien agitée, croisée entre une houle de fond de Sud Sud Ouest et une mer plus courte de Sud Est, jusqu’au bout de la traversée…Il y a surtout un fort courant, qui nous pousse vers l’Ouest à grande vitesse, et c’est super d’accélérer à ce point! DSCF1698
 
Une fois le vent bien établi au Sud Est, Fidji nous remontre de quoi il est capable, il tient des vitesses impressionnantes, nous passons plusieurs heures à 9 nœuds, ce qui est bien au dessus de tout ce que nous avions connu avec lui.
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5 jours après notre départ de l’île Coco, nous doublons l’île d’Isabella (aux Galápagos),  à près de 100 miles dans son Nord, et décidons définitivement de continuer sans nous y arrêter. Trop de connaissances nous déconseillent d’y aller pour diverses raisons (mauvais mouillages, tarifs exorbitants, fonctionnaires corrompus, etc…de plus, autant nous cautionnons la protection de l’environnement comme à l’île Coco, où elle semble sincère, autant nous ne supportons pas l’éco-business pratiqué aux Galápagos, considérés par les autorités comme un grand zoo qui peut rapporter du fric. L’argent récolté n’est pas pour protéger l’environnement, mais pour faire de l’argent, ce qui est très différent…).

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Mais il y a une autre raison pour ne pas s’y arrêter, et elle est tactique, Pat pense que le vent, en s’approchant de la fin de la traversée, va finir par mollir, et soit rester SE, soit tourner à l’Est. Sachant qu’un voilier monocoque avance bien plus vite, et confortablement vent de travers ou largue que vent arrière, Pat prévoit donc de rester au Nord de la route directe, pour ne descendre à la latitude des Marquises que tout à la fin du parcours. 
Il s’avère que ce choix sera excellent, car depuis Isabella nous traverserons sans utiliser le moteur, en 17 jours et demi, ce qui fait une moyenne de 7,4 Nœuds! Super performance pour un bateau de cette taille! DSCF1695
Nous allons finalement mettre en tout 22 jours et 19 heures pour effectuer les 3500 Miles (environ bien sûr, avec les détours terribles du départ… = environ 6500 kilomètres) de cette traversée entre Coco et Hiva Oa. A comparer avec les 17 jours de l’Atlantique, pour parcourir 2200 Miles, nous avons été bien plus vite cette fois.
 
Sinon, ce que nous retenons de cette incroyable aventure:
 
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- Aucune casse ou seulement des détails! Ouf ! (Juste un coulisseau de la grand voile à changer, une longue couture sur la bordure du génois que nous aurions dû faire repiquer à Panama, un impeler (pompe eau de mer) du moteur à changer (c’est rien), une vis d’Antoine tombée à la mer et aussitôt remplacée, et c’est TOUT (voir la photo, Isa recoud la bordure du génois) )!
- On s’est très bien entendu, et avons été très amoureux et complice pendant tout le trajet,
- Antoine, notre régulateur d’allure de marque Ariès est génial et a barré tout du long avec une régularité et une précision impressionnante,  
- Morphéus, notre radar, indispensable gardien de notre sommeil, nous a permis de repérer quelques navires et quelques petits grains,
- Notre BGAN (baptisé Séraphin (voir photo)) :
Il nous a permis de consulter et d’envoyer nos e-mails et la météo tous les jours par satellite, et ce malgré le roulis et la vitesse, TROP BIEN!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!IMGP0948
- Nous avons eu la mauvaise idée de stocker les canettes de bières dans les fonds, en pensant que l’aluminium ne se dégraderait pas ! Et bien si, des micro-trous de corrosion apparaissent dans les canettes, et les bières se vident alors tout doucement dans les fonds! On ne vous raconte pas l’odeur de la vieille bière fermentée! Le tout mélangé aux quelques œufs tombés pendant la tempête de l’île Coco! Humm miam miam quand nous avons rouvert les fonds une fois aux Marquises (pas le cœur de faire ça au large c’était trop agité)!

- La cuisine à bord ne fut pas des plus aisées et nous étions bien contents d’avoir gardé des plats cuisinés jusqu’ici! Il fallait un bon équilibre et suffisamment d’appétit pour mettre les plats en fête, mais dans l’ensemble ce fut bien géré! Le pain frais n’a jamais manqué (voir photo), et au final, les talents culinaires et le courage d’Isa ont permis à nos corps de garder leur petit côté potelé…ouf, sauvé!DSCF1721
 
- Et nous avons consommé en 23 jours, environ 300 litres d’eau et 50 litres de gasoil…
Si la première semaine de traversée nous a permis de rencontrer dauphins, tortues, et oiseaux de mer (dont un fou à pates bleu au large des Galápagos) très à l’aise sur la planche installée à l’avant de Fidji, nous nous sommes ensuite retrouvés bien seuls. Peu d’êtres vivants se sont montrés! C’est là que nous avons pris pleine conscience de l’immensité du Pacifique et de l’immensité de cette aventure. Nous étions en pleine mer, rien devant, rien derrière, rien sur les côtés. 360 degrés d’eau, de ciel, de vent et d’étoiles. Et bien ça fait quelque chose ! Isa profitait des nuages sur l’horizon pour s’inventer des terres et ainsi se dire qu’on était bientôt arrivé… Mais il restait encore de la route…et comme dit la chanson, ‘’tant mieux si la route est longue, nous ferons le tour du monde…’’DSCF1755
Les journées étaient donc rythmées par des activités simples mais qui à la gîte et dans le roulis devenaient assez compliquées surtout en ce qui concerne la douche, le ménage, la cuisine,…
Pat a repris avec motivation la guitare et Isa a dévoré beaucoup de livres (au moins 7 pavés…). Nous passions aussi pas mal de temps à écrire à nos familles, pour essayer de partager avec eux ces moments inoubliables. Nous sommes vraiment contents d’avoir acheté le BGAN, il nous change la vie en nous offrant la sérénité de toujours pouvoir savoir que tout va bien chez nous et nous donne la possibilité de partager nos émotions avec ceux que nous aimons.
Puis, comme Fidji avait navigué sans souffler, sans trainer, sans grincer… et bien nous sommes arrivés! Nous avons vu se dessiner sur l’horizon de vraies terres, des îles hautes et escarpées, les Marquises. Nous étions épuisés mais si heureux!
Nous avons donc, le matin du 16 Mai 2010, rejoint le mouillage d’Atuona sur Hiva Oa. Il y avait déjà pas mal de bateaux, et c’était étrange de se retrouver ici après cette longue traversée, mais l’accueil de nos nouveaux voisins à été très sympa! Nous avions vraiment besoin de dormir! Ce que nous avons fait et ce pendant 12 h non stop, 2 nuits d’affilé de 19h à 7h! C’est trop bon!DSCF1825
Nous avons découvert la coque de Fidji, qui était recouverte d’anatifes au niveau de la ligne de flottaison…bon ben au moins on sait qu’on ne va pas s’ennuyer pour se remettre de cette traversée…Allez, on range, on frotte, et vite, allons découvrir les Marquises !!!!!!!!!!!
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A bientôt!
Pat et Isa